Lézard des Mots

Écrire sur commande

Jour 23 - La création littéraire "sur commande"

L’une des choses les plus irritantes pour moi, au cours de ma pratique de l’écriture, a été de passer d’une vision idéaliste de l’écriture à un positionnement beaucoup plus pragmatique. Ç’a été irritant, certes, mais tellement enrichissant au final. Venez, je vous explique ce que je veux dire !
Mais, comme d’habitude dans l’Ancalendrier, même si on se dirige vers son dénouement… musique !

Quoi de mieux pour parler d’écriture que l’accompagner d’un hymne à Calliope, interprété à la lyre, en grec ancien ?
C’est, en plus, une des musiques que j’ai très souvent écoutées pour écrire, que je vois volontiers comme le thème musical d’Aïtée Delallanura, que vous avez déjà la chance de connaître.

C’est quoi écrire, pour vous ?

Pour moi, ça a toujours été une activité aussi vitale que me nourrir. Pour une raison très simple, c’est que le papier me permet de déposer des choses que mon esprit saturé produit, et de penser à autre chose. D’ailleurs, j’ai très fréquemment une sorte d’amnésie par rapport à ce que j’écris : quand je me relis, c’est comme si je lisais quelqu’un·e d’autre. Donc, pour moi, écrire est très distinct de l’acte créatif : écrire, c’est fixer, se détacher, pas penser ni inventer. Certes, il y a une interpénétration de ces deux domaines : peut-on écrire sans inventer, ou inventer sans écrire ?

Serait-ce un acte instinctif ?

Non. Ou oui. Selon le point de vue, tout acte est tantôt instinctif, tantôt absolument réfléchi. Pour l’écriture, il en va de même. Il y a à la fois une part d’inconscient (ça ne veut pas dire “insensé”) et une part d’artisanat. Précisons peut-être un peu : ce que je veux dire, ce n’est pas que je réfute l’idée selon laquelle “tout le monde peut écrire”, mais plutôt que je crois que cette affirmation devrait être tempérée. Il y a écrire, au sens de se départir des idées qu’on a en tête, écrire au sens d’inventer, et écrire, au sens élitiste de s’insérer dans une tradition culturelle, linguistique, sociale, ethnologique, anthropologique, celle de la littérature – ou plutôt : des littératures.

Tout le monde peut écrire

Oui. Pour deux raisons : la première, parce que tout le monde peut apprendre, se former, acquérir les compétences nécessaires, même celles qui sont élitistes, à l’écriture au sens de la littérature. La seconde, c’est parce que tout le monde peut se faire accompagner par une personne compétente qui possède ces compétences et outils par son métier. La troisième (oui la troisième des deux raisons) c’est que tout le monde débute au même niveau, celui d’un·e enfant sans aucune connaissances.

Une vision idéaliste de l’écriture

Les auteurices parlent fréquemment de l’acte d’écriture comme d’un besoin. Il leur apporte un ensemble de bienfaits, et répond à une frustration intime. Il y a là à la fois la notion de nécessité et celle de plaisir. On dit souvent aussi qu’on écrit “pour soi”. Ça peut être vrai ; c’est souvent le cas. Pourquoi alors cette vision serait “idéaliste”, voire contreproductive ? Parce qu’écrire uniquement “quand on en a besoin” et “quand on veut en tirer du plaisir”, c’est un peu un rêve d’enfant.

Un doux rêve à déconstruire

La professionnalisation de l’écriture commence justement à ce stade-là. C’est lorsque l’on se rend compte que “produire une œuvre” signifie le faire de façon efficace et suivie, nécessitant en cela une routine, une cohérence, une rigueur, et des méthodes. C’est à ce stade que l’artisanat littéraire, perçu souvent comme “élitiste”, peut rentrer en ligne de compte. Si quelqu’un·e n’a pas de contraintes financières, ni de contraintes temporelles, ni de contraintes… alors cette personne pourrait être en mesure d’écrire, de terminer un livre, c’est vrai. Mais, disons-le bien : c’est un cas rare évidemment, enviable, etc. Alors, si l’on compte produire une œuvre, dans la plupart des cas, nous ne sommes pas des personnes “sans contraintes”.

L’insoutenable irritabilité de l’exercice

C’est comme le sport. Je n’en fais pas, mais je crois les personnes qui me disent ça : plus tu le fais, plus tu prends du plaisir. Pour moi, c’est pareil : plus j’écris, au sens d’un exercice, plus je sens que cette discipline coule de source. Est-ce vrai ? Non, c’est complètement faux : évidemment, le cerveau est un muscle que je renforce, et mes doigts se font plus précis, plus vifs et moins fatigables au fur et à mesure de mon entraînement. Mes connaissances s’étayent, et avec elles une sorte de boîte à outils dans laquelle je peux piocher, non pas des “formulations toutes faites”, mais des patrons à développer, des squelettes à habiller, des tropes littéraires majeurs que je peux mettre au travail dans des constructions narratives nouvelles.

Écrire en littérature, écrire pour la communication

Le dernier mythe que j’aimerais mettre en garde ici, c’est celui du “on n’écrit surtout (voire que) pour soi”. Alors, fort bien, auteurices, gardez vos manuscrits, on n’en veut pas ! Personne ne veut les lire, et vous n’éprouverez aucune joie à ce que quelqu’un·e d’autre parcoure vos pages. Évidemment que c’est complètement faux ! On écrit, il est vrai, notamment pour répondre à un besoin, nous l’avons dit, et ce besoin est ambivalent : c’est à la fois une posture d’introspection, et une posture d’ouverture. Écrire, pour la communication, la publicité, pour une brochure commerciale… une biographie… Tout est pareil maintenant pour moi.

Écrire pour les autres

Et… oui, j’aime aussi écrire pour les autres. À la fois quand je rédige mes propres projets littéraires, et quand je travaille pour quelqu’un·e d’autre.

Par exemple, les Colaboriages, c’est passionnant ! S’immerger dans l’imaginaire d’autrui, proposer des interprétations, des sens nouveaux, des éclairages, tisser tout ça, et finalement voir l’imaginaire de l’artiste s’emballer, son sourire…

Voilà pourquoi je travaille. Voilà ce à quoi je veux passer mon temps et mon énergie.

Mais sais-tu mon métier est celui de mentir. Je le fais souvent très bien, avec astuce, avec rage, dans une rhétorique brillante, et peu de personnes comprennent mon intérêt pour la menterie. Cela dit, il est évident qu'aujourd'hui je ne veux plus mentir – pas là, pas maintenant, c'est bien trop lourd, trop sérieux, trop important. Il n'y a aucun autre début valable que celui de ta main serrant mes doigts comme si ta vie en dépendait, comme si la mienne en valait la peine.

Et demain ?

L’hiver est venu, il s’est installé sur la Vallée, qui se vêt peu à peu de ses atours d’hivernage. Il reste un dernier jour de festivités, qui sera consacré à elle-même, à la Vallée des Mots, en tant qu’elle est ce lieu que nous chérissons, nous, les dragons et dracènes. Alors revenez demain, ouvrir la prochaine surprise ! La fête n’est pas encore finie pour la Vallée des Mots.

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