Lézard des Mots

Prologue de l’Octosystème – partie quatre

Jour 20 - Entrez dans l'Octosystème

Ça y est, l’orée est définitivement passée, vous êtes entré·e·s. Vous voilà face aux huit mondes de l’Octosystème, face à leur grandeur, face à la peur. Vous découvrez mot après mot quelle pourrait être l’intrigue de la Sage Saga de l’Octosystème.

Nous sommes aujourd’hui sur le point de découvrir les personnages importants du début du premier tome. La colonelle Saragosia arrive au centre-ville historique d’Escargul, et une lettre est ouverte…

Accrochez vos ceintures, retenez votre souffle, la plongée sera rude aujourd’hui. L’ambiance musicale que je vous propose pour accompagner ce texte est beaucoup plus sombre. Vous connaissez Juno Reactor ? Un de leurs titres m’a provoqué un émoi difficile à expliquer. Très dark, porteur d’une intense méditation, en deux partie : une méditative, une qui “s’énerve” et s’amplifie. C’est absolument parfait pour accompagner cette lecture. Idéalement, à la fin du passage, revenez sur la première partie pour conclure le texte dans des conditions idéales.

Allez. Venez. Annabelle attend rarement.

Quelques clés de worldbuilding / lore :

  • Il y a d’autres éléments de lore dans les intros des Rêveries 8, 9 et 10, ainsi que dans les parties précédentes du prologue. Je vous conseille vivement de les lire avant de commencer ce texte-ci.
  • Raïta est l’une des huit planètes habitées de l’Octosystème, que nous avons commencé à approcher dans le troisième extrait du prologue.
  • Les kaybræs sont les statues animées vigilantes qui veillent inlassablement sur l’Empire. Elles sont contrôlées par des marezzi (lore : voir Rêverie 9) ou des mages humain·e·s qui pratiquent la magie de l’anima (des animataires principalement, puisque les créateur·ice·s sont plus rares).
  • Les välmas, aussi orthographié et prononcé valmaz, en langue gaztane, sont des dragons principalement au service de ce que nous pourrions appeler la “magie noire”, contrairement aux dragons en général, qui, soit ne sont pas alignés, soit sont alignés plutôt vers “le bien”. Les välmas ressemblent à des dragons, mais ont un corps plus petit, plus fin, sont plus vifs. Et cruels. Ils sont très cruels.
  • La ministre déléguée au relations extérieures, Efrid Amiz del’Arzat, est la fille unique de l’Empereur actuel d’Arzat, appelée à devenir impératrice à sa suite, plus tard. La coutume dans l’Empire Arzatien devenu une démocratie progressiste est que les personnes de la famille impériale participent au gouvernement de l’État, soit directement désignées par le·a président·e de la Nation Impériale, soit au sein d’autres métiers si la personne ne manifeste pas cet intérêt ou n’a pas les compétences requises par cette charge.
  • La colonelle Annabelle Saragosia est française, et l’une des têtes du GREMO. Elle est la future mère porteuse d’Aïtée Delallanura Saragosia, héroïne principale de la Sage Saga de l’Octosystème.
  • Le GREMO est une structure transpartisane, transnationale, transplanétaire, qui s’oppose de toutes ses forces au Royaume du Gaztanazlet. On dit fréquemment que l’organisation émane directement de l’Octodey. Le GREMO est réputé être financé particulièrement par l’UTN et l’Empire Arzatien.
  • Le Royaume du Gaztanazlet est le fief des Rois-Sorciers de la famille Leplizi, sur la planète Zelium. Extrêmement puissants, égocentriques et manipulateurs, ils maîtrisent depuis plus d’un millier d’années une magie sombre, qu’ils utilisent à des fins peu nobles. Dans l’Octosystème, la magie est fréquente, mais souvent imaginée comme un bien commun, comme quelque chose qui devrait être utilisé pour le bien du groupe, pas pour des intérêts personnels. Le Gaztnazlet, à la suite du fondateur de la dynastie, Elstarstamite, a fini par dominer peu ou prou l’ensemble de l’Octosystème, aux temps où se situe notre Prologue.
  • L’UTN, l’Union Technologique Neïsitienne, est une organisation transnationale dont le siège est Allos-Omis, également capitale de la République de Gaofi. Extrêmement novatrice en termes de technologie, son président directeur général est Offi Aka. L’UTN a des relations compliquées avec les autres organisations d’envergure : elle soutient le GREMO sans réserve, a les moyens de se protéger du Gaztanazlet, contrairement aux autres organisations majeures de l’Octosystème telles que l’Union Européenne ou l’OTAN, qui doivent garder tête basse face à la menace des Leplizi.
  • Le roi actuel du Gaztanazlet, Eliumite I, est le père d’Eliumite II, qui sera amené à devenir le plus important rival d’Aïtée Delallanura. Neda, l’enfant qui perd ses parents à la fin de l’extrait, sera récupéré par Eliumite I, et deviendra le frère de lait d’Eliumite II. Andreou, le Déicide. Le Roi Blanc de Merkakhan. L’Immortel adversaire d’Emeline Ancolie d’Elpra.

La Sage Saga de l'Octosystème

Tome 1 : Nostraterra

Feuillet 1 : Si loin, si proche, une fresque de tout - Prologue, partie 4

~ * Æsti * ~

Un bureau tendu de velours rouges et ors, qui vibrait au rythme des douces courbes du mobilier somptueux. Des fenêtres qui donnaient sur la Grand Place et sur la Tour. Une grande table ovale ceinte de fauteuils confortables ; une assemblée importante qui se tenait. Les dignitaires présent·e·s n’accordaient aucune attention au lever de soleil, un spectacle pourtant frappant de beauté, non plus qu’iels n’avaient conscience du retour du Massaliote Furibond dans la rade d’Escargul. Pas une seule personne ne parlait, et régnait dans la pièce magnifique un épais silence. Les yeux étaient rivés sur des mains croisées, négligemment posées sur le bois noir poli de la table présidentielle. Négligemment en apparence. Car toutes et tous ici se composaient une face impassible pour garder leur sérieux, pour rester dignes, pour conserver leur rôle, être dans l’exercice de leurs hautes fonctions. Une menace, une menace. Une lettre de menace du Grand Roi des Mondes. Eliumite les sommait de…

– Efrid, je vous prie… pourriez-vous… ?

La ministre déléguée aux relations extérieures se leva. Calme. Droite. Rigide. Acquiesça à la demande de la Présidente de l’Empire Arzatien, leva de nouveau l’objet qu’elle tenait encore dans sa main droite. Une enveloppe qui portait un cachet. Rompu. Elle tenta de ne pas prêter attention aux armes de la Maison Leplizi de Zelium, détentrice du pouvoir royal du Gaztanazlet, Maison du Grand Roi des Mondes Eliumite Premier Leplizi. Un huit couché, symbole d’infini, surmonté d’un huit dressé, qui dénombrait les huit dea. Le symbole que toutes et tous connaissaient, qui désignait tant l’Octodey que l’Octosystème, l’harmonie, la persévérance, le pouvoir. Mais… mais sauf que l’emblème de la Maison Leplizi ne s’arrêtait pas là. Un huit couché, un huit dressé ; et une sombre flèche qui les traversait de part en part, coup porté en diagonale aux dea, comme un sacrilège revendiqué et crié à la face des huit mondes. Efrid repoussa le pli de papier qui barrait encore le chemin à ses doigts, s’empara de la missive, la tira vers elle, la déplia, marqua le papier pour le maintenir droit. Elle prit une respiration. Commença la lecture, en gaztan, qui était connu de toutes et tous ici.

– Salut, ô peuple ami. Oh, combien vous m’avez manqué, Escarguliotes ! Vos ronds de jambes, vos beaux discours, la ferveur avec laquelle vous vous obstinez à soutenir et à financer le GREMO… Vous pensiez donc que je ne le savais pas ? Mais rien ne m’échappe dans les huit mondes. Mon réseau de mages est infiltré partout, vous le savez très bien. Alors, permettez-moi donc, ô peuple ami, de vous saluer, une dernière fois. Armez vos kaybræs ! Bientôt, vous sentirez le vent des longues ailes noires des valmaz balayer vos quartiers éléments , vos parcs tranquilles, votre port grandiloquent, et vous verrez ployer votre bien-aimée Tour. Nous la ferons tomber. Tremblez. Car les noires ailes nous porteront, nous, les Leplizi, et nos dragons.

Une voix scandalisée par-delà les hautes portes. Du tapage. Une cavalcade. Les portes qui s’ouvrent à la volée sur une silhouette menue, mais imposante de charisme.

– Mais vous ne pouvez pas entrer, vous dis-je ! criaillait un préposé. La Présidente tient Conseil, et il n’est pas en votre pouvoir de…
– Comment ? Comment osez-vous ? s’indignait sa collègue. Pour qui vous prenez-vous, madame ? Mais arrêtez-vous donc !

Sans prendre le temps de ralentir, et à grandes foulées conquérantes, la silhouette se coula jusque devant la tablée. Elle se figea, esquissa un salut. Le salut du GREMO, main gauche qui attrapait le poignet droit sous le poing fermé. Elle portait un vêtement simple, fonctionnel, qui tranchait avec le faste qui l’entourait. Un uniforme blanc et noir, avec un simple écusson purpurin sur son cœur.

– Colonelle Saragosia, au rapport, Présidente, déclara-t-elle d’une voix professionnelle, en Arzat, bien qu’avec un certain accent qui indiquait qu’elle venait de loin.

De très loin. La Présidente se leva à son tour, rejoignant Efrid Amiz qui rangeait fébrilement la lettre dans son enveloppe, et les deux fonctionnaires Escarguliotes répondirent rapidement au salut de la Colonelle, qui se détendit imperceptiblement, avant de se précipiter vers la Présidente, attirant l’attention des deux gardes qui coururent accomplir leur mission… avant de piler net. La Présidente étreignait avec force la Colonelle.

– Annabelle ! Tu étais censée être de retour depuis une semaine déjà et…
– … j’ai été retardée, madame, répondit-elle en inclinant légèrement la tête, souriante, avant de reculer d’un pas pour considérer l’assemblée. Je ne souhaitais pas t’inquiéter.

Efrid s’empressa de disposer un siège près de la Présidente pour qu’Annabelle Saragosia puisse s’y installer. Nonchalante, la Colonelle s’y affala et eut même un râle de plaisir. On poussa vers elle un verre de cristal et une carafe d’eau glacée, dont elle s’empara avec empressement et reconnaissance. Elle but goulument, pendant qu’une quinzaine de visages inquiets la scrutaient, attendant avec impatience les nouvelles qu’elle portait.

– Ah ! Eh bien, vous vous en doutez… Eliumite ne ment jamais. Ses légions de Dragons se sont envolées et fourbissent leurs sortilèges. Il les mène personnellement, son jeune fils à ses côtés. Imaginez : il est tellement confiant qu’il emmène son fils, son héritier, jusque dans Ezcohléïan-ok-M’to. Et… de votre côté ? questionna-t-elle en désignant la lettre qui avait échoué sur la table près de la carafe.
– Tu as reconnu le sceau. Tu sais donc ce que c’est.

Annabelle acquiesça, gravement, à la déclaration apparemment froide et détachée de la Présidente. La déclaration d’invasion officielle d’Eliumite.

– Appelez l’UTN je vous prie. Passez-moi Offi Aka. Maintenant !

La Présidente avait rejeté les atours et les ornements. Seule comptait la situation délicate dans laquelle se trouvait son pays. Seul comptait ce bout de papier.
Le bout de papier qui sonnait le glas d’une ville prodigieuse, d’une nation, de familles.
De tant de personnes.

~ * Æstis * ~

La nuit. Des flammes. Une maison au toit de chaume s’effondrait doucement, presque sans bruit, en éparpillant des étincelles tout alentour. Une femme se tenait là, un fardeau dans les bras qui hurlait. Son mari lui braillait de fuir, de le laisser là, vite, de sauver leur enfant. Il tenait levée une fourche dans ses mains calleuses. Un sifflement dans l’air : quelque chose plongeait. Quelque chose, une grande silhouette, noire sur fond noir, des ailes, des griffes acérées, des crocs brillants. Un valma. Le grand reptile ailé d’ombres tendait son cou pour inspecter celleux qui s’agitaient au sol, voletant en cercles au-dessus de leur maison, feulant de sa grosse voix sombre.
Une autre voix prit de l’ampleur, déclara durement, aussi dur que ce qu’elle disait.
« Totùg zayedùug khrémanwi. »
Ce fut comme si la voix dure avait parlé directement à la mère de l’enfant. Ses jambes répondirent d’elles-mêmes, coururent, comme si elles avaient pu avoir l’espoir pâle de s’échapper, de se mettre à l’abri. Elle courait, mais l’ordre ne lui était pas adressé.
« Tue l’enfant. » avait dit la voix, et, si la mère ne parlait pas la même langue, elle avait reconnu l’universelle déclaration de cruauté, le danger qui, lui, n’avait pas de langue. Le valma avait ramené ses ailes contre son corps pour se donner de la vitesse ; il plongea. Ses mâchoires s’ouvrirent. L’éclat de l’incendie se reflétait sur ses dents tranchantes qui brillaient comme de l’acier et dans ses yeux se retrouvaient les mêmes braises qui seules resteraient bientôt de leur vie, de leur quotidien, de leur lieu. Une plainte dans la nuit. « Psaé ! » Une mère beuglait tout son désespoir, niant de ce simple mot la réalité. Un mot tout simple, qui pourtant en disait long. Ce « non » était assené avec rage, avec colère, et avec beaucoup de larmes. « Psaé ! Neda ! Psaaééééé » Son petit Neda. Il avait été happé dans ses bras et avait roulé au sol, gisait là informe, près d’elle. Il ne pleurait plus. Elle non plus. Son mari avait engagé le combat contre le maître de l’Ailes Noires. Fourche contre épée. Peur contre assurance. Improvisation contre assurance. Force contre force plus grande encore et contre magie. Mais le Grand Roi des Mondes n’eut pas besoin de sa magie. Un chuintement, un craquement, un bruit sourd. La tête du mari roula jusqu’à l’épouse, arrêta sa course contre le corps inanimé de l’enfant. Envahie de terreur, la mère la souleva et la brandit comme un bouclier entre le meurtrier qui s’avançait vers elle et son enfant.
Comme pour faire en sorte que son mari la protège encore une fois même dans la mort.
Ses traits étaient distordus par l’imminence de sa mort, le vent battait ses tempes, l’air froid de la nuit fouettait son sang et lui donnait une vigueur malvenue. Peut-être, se disait-elle, qu’elle pouvait lancer la tête sur le sorcier, ramasser son enfant et courir, courir, là-bas, il y avait le village, on pourrait peut-être l’aider, combattre la plus grande menace de l’Octosystème et…
Ce fut tout doucement, chuchotant, qu’Eliumite donna un dernier ordre.
« K’hh’aranwi. »
Répondant à sa magie, le crâne explosa, comme explosèrent les pleurs de l’épouse et les pleurs de l’enfant, seul à jamais dans la nuit, voyant tomber le corps de sa mère comme une ombre qui s’affaisserait face à la lumière, traversée de part en part par l’épée du Roi.

Annabelle se redressa brutalement dans le lit douillet que la Présidente et l’État Arzatien avaient mis à sa disposition. Elle tremblait, avait trempé ses vêtements de sueur et empoissé ses cuisses d’urine et probablement de sang, claquait des dents. Ses larmes empesaient son visage tendu d’effort et baigné de nuit, ses cheveux de jais cascadaient sur ses épaules nues et sa poitrine découverte, qui tentait tant bien que mal de continuer à respirer, agitée qu’elle était de soubresauts et de sanglots catabatiques. Elle ne se contrôlait plus, était dans l’incapacité de crier, de se départir de l’angoisse qui l’avait saisie, incapable d’esquisser le moindre geste. Elle le savait ; ce n’était pas qu’un cauchemar. C’était une vision infligée par la mana elle-même d’un autre point du Wyrd. Son entourage lui assurait qu’il s’agissait d’un pouvoir d’une grande valeur ; elle n’y voyait que de la cruauté, qu’une malédiction qui la faisait se réveiller dépossédée d’elle-même, sans pouvoir rien contrôler.

Psaé. Neda. Psaé.

~ * Æstis * ~

Et demain ?

Nous avons achevé ce que je souhaitais vous montrer pour le moment de l’Octosystème. Il n’est pas impossible que ce récit revienne, particulièrement sous la forme de Bûches à Écrire !

Ce qui reste sûr, c’est que nous aurons encore quelque chose à lire ! Alors, revenez demain, ouvrir la prochaine surprise ! La fête n’est pas finie pour la Vallée des Mots.

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