Comment appréhende-t-on la grammaire et les normes, ici ?
Chapitre 1 : Point de vue de la Grammaire sur le Français
La grammaire a un positionnement normatif sur la langue. Voire puriste, standardiste, traditionaliste, réactionnaire. Pour elle, le français est une langue noble, intouchable, au passé glorieux et au futur incertain. Nous avons vu précédemment que c’était une sorte de fantasme non objectif, et que la langue va très bien – si tant est que cela ait un sens en linguistique, mais ne rouvrons pas le débat (on le fera plus tard !).
Toujours est-il que l’Académie Française, qui est l’instance garante de la norme du français, est assez peu encline à la variation, à la modification. Censée suivre et accompagner l’usage réel – c’est-à-dire le français de la rue, entendons-nous ! -, elle adopte plutôt un discours moralisateur, élitiste, et conservateur. Vous connaissez ses prises de parole sur l’écriture inclusive, et, sans même aller aussi loin, sur le niveau orthographique qui, selon elle, est en chute libre (non, en fait, puisque l’illettrisme n’a jamais été aussi bas en France), sur “l’écriture SMS”, ou encore sur les emprunts à l’anglais. Je vous avais montré, la dernière fois, un exemple particulièrement frappant d’un académicien !
Si on mène une rapide synthèse de ce qu’est le français pour “la grammaire”, mais aussi (puisque c’est une extension de cette posture) pour le “sens commun”, on aboutit à un tel relevé :
- Une langue riche, noble, capable d’exprimer tout ce qu’on peut rêver et imaginer, mieux que les autres langues
- Une langue qui allie le pragmatisme et la précision au romantisme et au style, qui a un “chant” fluide et plaisant
- Une langue propre à exprimer les sentiments
- Une langue complexe, difficile à apprendre et à maîtriser, à la grammaire opaque et pleine “d’exceptions”
- Une langue à la tradition et au passé incroyables, représentée par des grands noms de la littérature mondiale (Molière, Hugo, Baudelaire, Verlaine, Rousseau, Ronsard, Sartre, de Beauvoir, Voltaire, Proust, Beaumarchais, Camus, Zola, Balzac, Maupassant…)
- Une langue qu’il faut à tout prix préserver, parce qu’elle est “la meilleure”, y compris contre les “assauts” de l’anglais (et de l’arabe, dans une moindre mesure)
- Une langue unie, cohérente, unitaire, qui est celle d’une nation géopolitiquement forte. La Constitution Française définit d’ailleurs un ensemble coéquivalent entre “la République”, “le français”, “le peuple français” et “le territoire français”.
Bon, voyons autre chose, voulez-vous ?
Chapitre 2 : Point de vue de la Linguistique sur le Français
Les sciences du langage ont un point de vue neutre sur le français, et la linguistique ne fait pas exception. C’est une langue parmi tant d’autres, perdue dans la masse, même si elle a son histoire et son importance géopolitique actuelle, bien sûr.
Pour la linguistique, le français peut être identifié ainsi :
- C’est une langue de la famille indoeuropéenne, issue du latin, donc romane, issue du groupe des langues d’oïl
- Au niveau syntaxique, la langue est flexionnelle (c’est-à-dire qu’elle subit la flexion grammaticale, la variation de ses éléments en fonction de la place syntaxique et du rôle grammatical assumé par un groupe), d’ordre SVO (prototypiquement, la phrase française suit un ordre “Sujet-Verbe-Objet”)
- Elle est parlée par plus de 321 millions de personnes, sur les cinq continents
Et, pour comparer avec les points de vue de “la grammaire” :
- C’est une langue parmi 6500+ d’autres, capable d’exprimer tout ce qu’on peut rêver et imaginer… comme les autres
- C’est une langue pragmatique et précise, comme les autres, qui a sa mélodie propre (comme les autres), avec un accent d’intensité (les mots, en français, sont toujours accentués sur la syllabe finale, sauf effet prosodique particulier). Le romantisme et le style n’ont aucun sens en linguistique.
- C’est une langue propre à exprimer les sentiments, comme les autres langues. Les langues peuvent présenter des disparités de lexique en fonction de leur environnement : on donne souvent un exemple, en linguistique générale, qui est celui des langues inuites, connues pour présenter une grande variété de mots désignant la neige, en fonction de sa “qualité”, ce que d’autres langues (bantoues par exemple) n’auraient aucunement besoin de faire, puisque la neige n’existe presque pas dans la réalité quotidienne de la culture qui l’emploie.
- C’est une langue qui présente une orthographe dite “opaque”, c’est-à-dire qu’elle est, en effet, difficile, par rapport à sa phonologie. L’espagnol est connu pour être devenu une langue à orthographe “transparente” après sa réforme orthographique : dans cette langue, 1 son = 1 graphème (l’espagnol considère “ll”, “ch”, “rr”, comme un seul signe). Une orthographe “opaque”, en linguistique, c’est pas une qualité, mais plutôt un défaut : cela signifie que son système de transcription écrite est inadapté à l’état actuel de la langue. En linguistique française, les “exceptions grammaticales” sont surtout considérées comme des “erreurs de la théorie grammaticale”, c’est-à-dire que la linguistique reconnaît bien moins d’exceptions aux règles (ce sont souvent juste “d’autres règles”, ou des règles qui doivent être réécrites, adaptées avec des outils modernes de description de la langue).
- C’est une langue surreprésentée sur la scène mondiale, à cause de facteurs historiques, sociologiques, économiques et géopolitiques. C’est tout ce que peut constater la linguistique ! Notons d’ailleurs que, parmi les grands noms que j’ai cités plus haut, seule Simone de Beauvoir est une femme. Ok, il y en a d’autres, mais la proportion est évidemment intéressante à noter.
- C’est une langue à préserver, comme les autres, pour les connaissances qu’elle véhicule. Mais elle n’est absolument pas en danger ! Il n’y a pas “d’assaut” d’autres langues sur le français… pas plus que la pression qu’exerce le français sur d’autres langues, en rapport avec la colonisation passée notamment, ou du fait de son statut de langue d’échange de premier plan.
- La langue n’est aucunement unie : d’une part parce que, déjà sur le territoire de la France métropolitaine, d’importantes disparités existent (et pas que lexicales !) : entre le français de Marseille et celui de Paris (lexique, grammaire, accent), le “y” lyonnais auquel pas grand-monde comprend grand-chose (j’en parlerai, promis !). Ensuite parce que le français est parlé sur cinq continents, comme reliquat de périodes historiques d’expansion coloniale : le français du Québec n’est pas le même que le français parlé en Belgique, en France, en Suisse, au Mali…
Mais alors, pourquoi on aurait besoin des normes, si elles semblent injustifiées ?
Chapitre 3 : Et les normes, en littérature ? Dans le monde de la communication ?
En vérité, tout le problème réside justement dans cette caractéristique majeure du français, celle de la diversité. “Le” français regroupe un nombre impressionnant de sous-groupes, voire de langues. Et pourtant, il est nécessaire que ces 321 millions de personnes se comprennent ! Imaginez le chantier monumental.
Ou plutôt, c’est l’inverse : si la langue s’est diffusée, c’est en partie grâce à sa standardisation, amorcée en 1635 par la création de l’Académie Française, sous l’impulsion du cardinal de Richelieu, pour asseoir le pouvoir royal. Là encore, promis, on en reparlera !
Mais la langue est, incontestablement, un outil politique.
L’un des corollaires modernes, et vous l’avez sûrement, un jour ou l’autre, toustes déjà ressenti, c’est l’insécurité des francophones vis-à-vis du français. À cause de son histoire, à cause de son prestige (qu’on le veuille ou non, cette donnée existe!), les locuteur·ice·s du français ont parfois du mal à assumer produire des “écarts à la norme” (c’est ainsi que j’aime appeler les “erreurs” et autres “fautes de grammaire et d’orthographe”).
La norme, est-elle utile ?
En un mot, oui. Vraiment. Sans elle, le marché de l’édition devrait composer avec TOUTES les variantes régionales… et c’est strictement impossible. Maintenant, nous sommes forcé·e·s d’accepter l’histoire du français et son héritage, avec tout ce qu’il comporte de regrets et de bonnes choses. Il n’y a pas le choix, on ne peut pas changer une langue en claquant des doigts. Elle existe, elle vit par elle-même, par ses locuteur·ice·s, et même par l’Académie, si réfractaire au changement.
Vous le savez, très bien, un texte rédigé en français DOIT suivre la norme pour être reçu correctement … par quiconque. Que ce soit dans l’édition, pour l’envoi d’un manuscrit ou la publication d’un roman ou de n’importe quel ouvrage, dans la com, avec n’importe quelle affiche ou poster à visée informative, pour n’importe quel texte disponible sur internet… Il n’y a pas le choix que de se conformer, au maximum, à la norme.
Ça ne signifie pas que nous avons à accepter tout en bloc ! Vous avez remarqué que nous utilisons ici, nous toustes les dracocènes de la Vallée des Mots, et Drakôn le premier, l’écriture inclusive. Justement parce que la langue est un outil politique.
Parce que c’est notre outil. Le vôtre. Le nôtre.
Alors : la norme, ok, mais à dose aussi modérée que possible, et en toute conscience.
En revanche, à celleux qui penseraient qu’on peut publier un livre, ou quoi que que ce soit d’ailleurs, sans la relecture et correction d’une personne professionnelle… prudence. Ou même mieux : en fait, non, si vous comptez avoir un impact, économique ou de simple diffusion, avec votre texte, vous ne pouvez vous passer d’une relecture professionnelle.
Un secret ? Oui, j’ai un secret à vous confier : nous, les dracocènes, nous faisons aussi souvent des “erreurs” ! C’est pour cela que, lorsque nous sommes en phase de correction, nous nous mettons à plusieurs et nous nous aidons du bien connu logiciel Antidote. Encore un secret ? Antidote ne sert à rien si on n’a pas les clés pour interpréter correctement les résultats des algorithmes fantastiques de Druide.