Sémaf’ À la recherche du Français Perdu

La disparition du français : un mythe bien vivace, lui

Une dizaine de jours auparavant...

– Ben alors, Sémaf’, que fais-tu arnaché comme ça ? Tu prévois un petit voyage ?

– Oui ! Pour un sujet brûlant à la fois d’actualité et de récurrence !

– Mais où donc vas-tu ? On te revoit quand ?

– No worries LAnco, Ed, je serai vite de retour ! Je fais un p’tit saut à Paris pour prendre la glaciale température et je reviens illico.

– Bon, allez, file comme le vent alors, et n’oublie pas ton goûter. On garde le Phare en attendant ton retour !

– See U !

Introduction à la Grammaire Française (Normes et Usages) : Premier Cours Magistral

– Bonzour l’assemblée de l’Université Nationale de la Vallée des Mots ! Ze suis ravi d’être parmi vous auzourd’hui.

– Salut Sémaf’ ! Bon retour dans la Vallée ! Tu as fait bon voyage ?

– C’était parfait ! Z’ai même pris des photos.

– Elles sont parfaites, même si j’ai l’impression que tu n’as pas trop quitté les environs de la Tour Eiffel. Et puis… tu ne te ressembles tellement pas sur chacune des photos !

– Oui, ze sais, c’est vrai. Enfin, bon, ze peux parler maintenant ?

– Allez, on t’écoute, mais arrête de zozoter, on sait que t’es un bébé, Sémaf’, mais seulement en apparence 😖

Chapitre 1 : Contextualisation

Au début du mois de décembre, le youtubeur Hugo Décrypte sortait une vidéo dans le cadre de ses Actus du Jour. Parmi les sujets abordés dans cette édition, des grèves, des moutons, des statistiques sur une mortalité accrue, Instagram… et les craintes d’Emmanuel Macron à propos d’un supposé recul de la langue française, craintes exprimées au cours d’une rencontre avec “des jeunes” au sommet de la francophonie, en Tunisie. Une petite vidéo vous permettra d’avoir en tête les mots utilisés. Comme il m’est impossible d’inclure ici-même cette référence, puisque l’AFP bloque ce type de partage, je vous invite à consulter ce lien sur vos ordinateurs personnels, avant que je poursuive.

Hugo a plutôt pertinemment défriché certains aspects de ce questionnement, et de sa légitimité à être posé. Aussi je me permettrai d’éviter les redites en citant directement son travail, que voici sur votre écran.

J’ajoute à ceci une autre vidéo fort intéressante à avoir en tête pour la discussion qui va suivre. Il s’agit d’un extrait d’Europe 1, durant lequel Jean-Marie Rouart, écrivain siégeant au fauteuil n°26 de l’Académie Française, tente de répondre, par quelque broderie, à la question du journaliste, à savoir : “Le Président a-t-il raison de s’inquiéter [de la disparition du français] ?”

Il évoque plusieurs “responsables” à cette mort annoncée de la langue française, dont, en premier lieu, Macron lui-même, puisqu’il aurait, semble-t-il – et même s’il est “fort sympathique” – encouragé l’usage du “franglais”, notamment avec son utilisation de la tournure “start-up nation”. Môssieur Rouart accuse également l’hégémonie de la langue anglaise, qu’il faudrait apparemment juguler, après nous avoir parlé d’un rapport de l’Académie Française sur la communication institutionnelle, et nous avoir précisé que ledit rapport est disponible “sur internet” (du bon français académique, toujours !!). Il s’emballe ensuite, précisant que les pouvoirs publics ne s’indignent pas de l’usage du franglais, voire même l’encouragent ! Quelle honte ! Surtout quand on parle “du covid” ! (Ah, monssssieur Rouart, on me signale que l’Académie voulait faire parler de “LA Covid-19”, en vérité).

Bon, bien sûr, il n’arrive pas à s’en empêcher. Après avoir bien dézingué à tout va le franglais et les pouvoirs publics (dont l’Académie Française émane, et donc lui aussi), il ne parvient pas à se retenir. Le second coupable est une coupable, puisqu’il s’agit de l’écriture inclusive ! IN-CLU-SIVE, vous imaginez ? Ahlàlà.

S’ensuit ensuite un passage lunaire, au cours duquel Mister Rouart s’en prend au défaut de l’application de la loi Toubon [qui contraint les personnes morales à n’utiliser que des termes français dans leur nom, sauf si aucun équivalent français n’existe].

– Mais du coup, Sémaf’, c’est pour ça que ce site ne s’appelle pas lizardofwords.com ?

Tu trolles presque aussi bien que la conclusion du journaliste, Drakôn ! Le présentateur termine avec un trait d’esprit provocateur pour le pauvre cerveau perturbé par le “franglais” de Mystère Rouart, en parlant de la “loi Allgood”. Allgood, Olgoude, Toubon… y’a qu’un pas, en effet !

Bon, plus sérieusement… Chapitre 2 ?

Chapitre 2 : Insécurité linguistique, mort et déclin du français

Vous le savez bien, le français est une langue très compliquée, tant de réputation que d’expérience. Son prestige, associé à son rayonnement intellectuel, artistique et scientifique, son passé de langue de diplomatie, la colonisation, font qu’aujourd’hui le français est une des langues les plus parlées au monde et les plus vigoureuses, contrairement à l’image que l’on peut en avoir (pour en savoir plus : http://www.sorosoro.org/le-francais/).

Mais, alors, pourquoi ? Pourquoi a-t-on ce décalage entre une vitalité expliquée par des éléments historiques et politiques et une représentation d’une langue en plein déclin, qui “se perd”, qui est dénaturée, que les “jeunes” ne connaissent plus ?

….a reculé…Personnellement, je dirais qu’elle est en totale voie de disparition car lorsque l’on lit les titres de certaines vidéos sur YT et même Google, les expressions et leur orthographe frisent l’indécence de l’ignorance de notre langue. Sur Google : « C’est quoi….? » Ou « les automobilistes son…. » Sur les programmes télévisuels : « film rire » Et oui , le mot comique semble ne jamais avoir existé ! Et je n’aborde même plus l’accent de l’ensemble de la jeunesse avec une intonation arabisante des cités. Ou bien : « c’est trop super cool » Le trop est le Too anglais. Combien le savent. Très suffit largement et peut on leur demander ce que veut dire cool ? Puis : les « en fait » « du coup » répétés à tout bout de champs par tous de 12 à 77 ans… Une catastrophe bien voulue pour démolir l’identité d’une nation et favoriser un implacable remplacement.

(Pardon GUYF d’utiliser ta sublime prose publique pour caricaturer une pensée explosive. C’est pas comme ça qu’il faut dire avec les boomers ? Les exploseurs ? Sans “·se·s” d’ailleurs ? Ah, je profite, GUYF, je mets aussi en doute ton “intonation arabisante” : vraiment ? Tout ça est vraiment affligeant, mais symptomatique, cela dit.)

C’est notamment à cause d’un phénomène que la linguistique nomme “l’insécurité linguistique” (voir notamment l’important article sur la typologie des locuteur·ice·s de Grinevald et Bert, 2010, dans Faits de Langues n°35-36, disponible sur la page de Michel Bert hébergée par son laboratoire, l’UMR 5596 DDL, LaBex ASLAN, Lyon 2, CNRS).

Ce phénomène, dû à plusieurs facteurs, a des conséquences remarquables : avez-vous déjà remarqué autour de vous des personnes qui disent “mais moi je parle très mal le français” ? (On parle bien sûr ici de personnes natives, qui ont suivi un cursus en langue française.)

Les francophones ont tendance à se sentir insécures avec leur propre langue, ce qui est tout à fait paradoxal, puisque la langue appartient … à qui ?

– À la communauté qui la pratique, Sémaf’.

Absolument, Hydra. Alors, d’où vient cette insécurité linguistique en français ? De la notion de prestige, originellement : il y a tellement de prix Nobel, de grand·e·s écrivain·e·s francophones, qu’évidemment la personne lambda se sent “écrasée” par cet héritage. Saviez-vous que Victor Hugo lui-même a ressenti ça, avec son “je serai Chateaubriand ou je ne serai rien” ?

Mais ce n’est pas le seul facteur : la pierre angulaire de ce phénomène est l’orthographe, et les systèmes élitistes qui lui sont associés. C’est du fait de l’existence de l’orthographe française, opaque et élitiste, que l’on peut finalement dire “ah, de nos jours, plus personne ne sait parler français” (sentez-vous à quel point c’est erroné, inapproprié, illogique, comme remarque ?).

Non, le français n’est pas moribond, de très, mais, alors, de vraiment très très loin. Le dalabon, par exemple, une langue parlée en Australie, compte moins de dix locuteur·ice·s (http://www.sorosoro.org/le-dalabon/). Il n’y aucune obsolescence de la langue française, qui continue simplement à vivre, qui poursuit la grande histoire linguistique du latin.

– Mais alors, Sémaf’, on nous aurait menti ? Et tu dis, en plus, que le latin existe encore ?

Bah oui. Le français, mais aussi le sarde, le roumain, l’arpitan, le catalan, c’est simplement un dialecte latin qui a survécu, ni plus, ni moins. On en reparlera plus tard !

– Mais, et l’orthographe dans tout ça ? C’est quoi ? Comment s’est bâti ce système de valeurs ? À quoi ça sert ? Et aussi, dis, Sémaf’, qu’as-tu pensé de l’Académie Française ? C’est quoi son rôle, pourquoi ça existe ?

Merci pour ces questions finales, cher·e·s dracocènes ! Promis, nous verrons tout ça très bientôt.

Et demain, dans l'Ancalendrier ?

Pas plus qu’hier nous ne savons de quoi demain sera fait ! Mais demandez à Sire Rouart, il vous dira que demain sera “woke“. Quoique. Comment on dit woke, en français ? Ah, eh bien, ne le disons pas ! 😂

Et si vous êtes d’un autre avis que ce cher Jean-Marie, alors, revenez demain, ouvrir la prochaine surprise ! Ce qui est certain, c’est qu’il y en aura encore une et que la fête n’est pas finie pour la Vallée des Mots.

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