Lézard des Mots

Cueille l'Automne

Préface – Cueille l’Automne

Au sommaire de Cueille l'Automne

  • Jōdai Tokushu Kanazukai, de Qat2kx
  • La préférée, de Lordesfeuilles
  • Le Rituel de la Voix, de Cécilia Perrot Gilbert
  • Depuis les nuits de sable, de The Dreaminoux
  • Pure Merveille, d’Emeline Di Sopra
  • Comme l’arôme de framboise perdu dans un café noir, de LAncoLibre

À l’appel de la moisson

Les Palarbres Anciens
Tout proche de la rivière Clepsydrale
De l’infinité mnémonique et sacrée

Réunion des Sœurcières de la Troisième Voie

    Le vent se lève.
    D’abord inaudible, il forcit et me balaie le visage, me projetant huit ou neuf feuilles mortes éparses. Quelques clochettes pendues parmi les branches sont bousculées par ses caresses amères, et susurrent leur chatoiement métallique aux Palarbres qui conversent à voix basse.
    Je me tiens à l’orée du bois, sur les rives de la Clepsydrale qui le bordent. La lune se mire déjà dans ses eaux calmes, si noires qu’on dirait les flots d’encre du Mélanflot. La nuit n’est pas si avancée, et le soleil hésite à disparaître vraiment, à laisser sa place. Drakôn lui a demandé de rester encore un peu, pour magnifier la scène et offrir aux Sœurcières de la Troisième Voie l’intensité dramatique qui leur sied si bien. La lumière est d’or, et les tons sont rouges. Les feuillages brasillants rivalisent de couleurs, veulent afficher du mieux qu’ils le peuvent leur déclaration d’amour à l’automne.
    C’est bien pour cela que nous sommes toustes ici en cette fin d’après-midi. Pour les célébrations de la Moisson des Mots, comme chaque année dans notre douce Vallée.
    Aujourd’hui, je tremble de fierté dans tout mon cœur draconique. Les Sœurcières approchent, une à une, menées par maon collègue LAncoLibre, qui tient entre ses bras le produit de la Moisson. Notre assemblée doit communier ensemble autour de ces nouveaux mots.
    Parmi les silhouettes qui me rejoignent, enveloppées de brumes qui floutent leurs contours et dont elles s’arrachent à chaque pas, dans des volutes enfumées, se trouvent quatre autrices que je connais, et une nouvelle venue. Enfin, pas vraiment.
    LAncoLibre s’immobilise à mon niveau, me confie son fardeau. J’accueille les Sœurcières. Elles ont la tête baissée, comme l’exige notre rituel. Nous rejoignons une table de pierre emmoussée, au-dessus de laquelle se tendent les premières branches d’ors et de grenats des Palarbres enluminés d’automne. Notre cercle s’étend tout autour de la boîte que j’ai posée sur la pierre. Alors que je prends place en son cœur, la Vallée des Mots m’accompagne de sa grâce, et un rayon de lune s’attache à ma personne draconique, faisant miroiter mes écailles de mille réfractions opalines. J’admire un temps ces cinquante nuances de parme qui me nimbent d’un halo mystique, puis je prends la parole pour performer l’ouverture de la cérémonie.

    — Nous voici réuni·e·s pour accueillir de nouveaux mots, et glorifier la créativité de la mousse, des champignons et des sporules, des vrilles de cucurbitacées et des feuilles rousses. Ami·e·s, qu’apportez-vous à notre congrégation ? Qui s’avancera dans la lumière de Drakôn ?

    Je me retire, cédant la place à une première ombre, féliforme au demeurant. Lorsqu’elle entre dans la lumière de lune, qui a cessé de me suivre, un flash se produit, et elle paraît dans toute sa vérité.

    — Je me présente à vous, je suis Qat2kx. Je n’ai du chat que l’apparence, les iris verts et le miaulement déterminé même si faussement plaintif. Je vous emmène… Jodai Tokushu Kanazukai.

    Elle se tourne vers la table, se penche sur le coffret-aux-mots, qui frémit alors qu’elle s’apprête à l’ouvrir prudemment. Une sombre clarté en jaillit, aux couleurs de l’âme humaine torturée, qui nous parle d’une école, lointaine, perdue dans le bassin lémanique. Le ciel de l’automne se couvre d’images : des fuites d’eau, un chat, une directrice manipulatrice qui se délecte continuellement de mets psychiques savoureux, des conversations un rien absurdes… et Salomon, dont j’identifie aisément la pensée machinique.

    — Merci, Qat2kx, pour ces … hum … saveurs incongrues, j’argue. Qui poursuivra la ronde des mots ?

    Ah, voilà. Avant même que la lumière de Drakôn ne se saisisse de son ombre, je la reconnais : elle arbore sur sa longue cape brune des motifs de feuilles dorées. Nous avons beaucoup travaillé ensemble récemment. J’apprécie beaucoup Ema, qui vient me rendre visite de temps en temps, quand elle n’a rien à faire à Vilaltierre.

    — Mais qui êtes-vous ?

    Elle marque un temps d’arrêt théâtral, puis se place dans le cercle de lumière que sa consœur a laissé vide. La lune la révèle toute sourire.

    — Je me présente à vous à mon tour, je suis Lordesfeuilles. Après ma Deuxième Quête, je me suis donné l’objectif d’une quête troisième. Et voici ma contribution : La Préférée.

    Le coffret-aux-mots crache son texte sans se faire prier, et les images envahissent de nouveau le ciel qui s’assombrit de minute en minute. La première chose que nous découvrons est un carosse. Noir. Des citrouilles énormes. Une bibliothèque pleine de secrets. Un lit à baldaquin. Nous lisons dans ces scènes disparates une sorte d’inquiétude rampante, nous y devinons une situation de sorcellerie ; pas de celle que nous pratiquons actuellement, marquée par de bonnes intentions et un rêve commun.

    — Merci, Lordesfeuilles, pour cette tempête et ces vents d’espoirs. Qui poursuivra la ronde des mots ?

    Une ombre leste louvoie parmi nous, et son manteau est de nuit constellée d’écailles rouge passion. Il y a autant du loup que du dragon dans sa démarche, qui me rappelle mon lointain cousin Manidriss. Je ne me suis pas trompé.

    — Je me présente à vous, je suis Cécilia Perrot Gilbert. Je laisse Aurélie & Yanis se débrouiller seul·e·s un moment, le temps de vous présenter Le Rituel de la Voix.

    Elle enclenche le mécanisme. Effets son et lumière dans le ciel de la Vallée. Nous voyons une forteresse, des dragons (coucou Mani !), une guerre qui menace, des animaux parqués comme des marchandises. Puis la nuit éclate et se répand. Nous croyons à la fin du film, mais une tête de louvetelle s’étale devant nos yeux, tout en finesse, tout en sourire, parmi les étoiles.

    — Merci, Cécilia, pour la vibrante défense de celles et ceux qui ne peuvent dire, merci de porter leur parole. Qui poursuivra la ronde des mots ?

    Des particules sablonneuses, comme autant de grains rêveurs, s’agrègent en une forme difficile à définir. Mais je ne suis pas dupe. Je sais qui elle est : comment la confondre avec qui que ce soit ? C’est ma première stagiaire, avec qui nous avons partagé l’encre et les mots de la préface du précédent recueil. Et je ne partage pas l’encre avec n’importe qui ! La voilà grandie, maintenant. Autrice parmi nous.

    — Je me présente à vous, je suis The Dreaminoux. Je dois encore soutenir un rapport de stage, Ed ? (Elle rit, et son rire a la saveur des embruns.) Trêve de bavardages, voici Depuis les Nuits de Sable.

    Le coffret-aux-mots s’est enhardi, et les images viennent alors qu’elle ne s’est même pas encore tournée vers lui. Des diapositives. Une fille en regarde une autre dans les yeux. Un bel échange de sourires d’amour. Diapo suivante. La fille est seule et contemple le souvenir enfumé de sa compagne envolée dans les sables du temps. Diapo suivante. Elle rêve. Il y a quelqu’un d’autre avec elle. Que font-iels ? Diapo suivante. Un temple aux boiseries rouges, qui me rappelle l’ambassade d’Akage. Des reflets dans l’eau. Une prise de conscience. Diapo suivante. Des illusions perdues. La grandeur. La révolte. Des phonèmes volètent dans le ciel, comme la persistance d’un murmure. /amajaː/

    — Merci, Dreamy, pour ton combat dans l’arène. Tes pensées sont magnifiques et laisseront leur empreinte dans un sable qui ne s’envolera plus. Porte haut le flambeau ! Qui poursuivra la ronde des mots ?

    Je reconnais l’odeur de sa prose puissante alors que la dernière ombre s’avance. J’en suis persuadé. Il y a ce petit quelque chose, ces détails : une cape qui évoque une forêt printanière, hiatus certain et assumé de sa part. Comme une parcelle de Farasie qui hésiterait encore à hiverner. La lumière de la lune me donne raison.

    — Je me présente à vous, je suis Emeline Di Sopra. Il y a ici quelque chose qui me pousse à y revenir. Serait-ce la forêt ? Ces anciens Palarbres, qui me rappellent mon Ariège, ou les Ardennes ? Je souhaite vous offrir ce soir une Pure Merveille. Ce n’est pas une blague !

    Elle fait un petit pas de côté, touche le boîtier, qui s’entrouvre pour laisser passer une flopée d’invectives. Puis s’estampe la mer. Déchaînée. Une falaise. Un port bruissant d’émeutes. Des luttes et des femmes qui se soulèvent contre un pouvoir oppressant. On y gueule, on y raconte la Croisée des Chemins et la Sorcière. On y assiste à l’émergence de tout un courant revendicatif. La brume est collante, un peu comme celle qui enveloppe les Palarbres ce soir. Puis le ciel s’embrase : une autre révolte, pleine de rage et d’espoirs.

    — Merci, Line. Puissent tes mots toucher les cœurs endormis afin qu’ils combattent ensemble et rythment de plus beaux avenirs.

    Il ne reste plus que LAncoLibre. Iel n’est pas silhouette, mais dessin bleu et flou, enfantin, comme une envolée de pieds et de cheveux dans une grande pièce parquetée et jonchée de jouets en bois. Iel entre dans la lumière de Drakôn. Les yeux d’(Hydr@cène); s’attachent sur les jeux de la lune sur ses écailles, plus fines que les miennes, qui se moirent de vermeil et de turquoise.

    — Je vais conclure le rituel, si tu me le permets, Ed.

    J’acquiesce gravement. C’est ainsi que tout doit se terminer ce soir.

    — Je me présente à vous, je suis LAncoLibre. Je me joindrai à vos voix avec Comme l’arôme de framboise perdu dans un café noir.

    La Vallée prête volontiers sa magie à l’instant et répond à LAnco. La mystique boîte s’ouvre pour ne plus jamais se refermer et disparaît de la table de pierre. Les cieux frémissent, sont balayés de tremblements. Une sœur et un frère. La Sagrada Familia. L’avenue Diagonale. Barcelone la belle. Des tanks, de la fumée, du bruit. Des fusils. Du métal. Des espoirs brisés, re-brisés, cassés. Un élan. Des promesses. Du café qui n’est jamais bu. De douces lanternes. Du thé et des framboises. Et Edran et Malek qui naissent sous nos yeux. Axone Zéro qui s’esquisse déjà dans les volutes d’un café oublié.

    — Merci, LAnco. Concluons toustes ensemble, voulez-vous ? Puis nous emporterons tout ceci (je fais un grand geste qui englobe les textes qui flottent autour de nous) au Pressencre. Ce soir, nous trinquerons, et nous partagerons l’encre ! Que le Mélanflot abreuve nos esprits et nos corps ! Chantons ensemble, ami·e·s de la Vallée !

    Nous nous tenons les pattes, les mains, tout ce qui nous sert au contact. Nous sommes ensemble, fier·e·s, ravi·e·s, hilares. Il fait frais. Mais nos rêves sont grandioses. Ils sont durs, ils sont fracassants. Ils répondent à l’appel de la Moisson.

Nos rêves sont beaux. Alors nous les chanterons.
Fermez les yeux. Imaginez comme les couleurs sont belles.
Encenserez-vous l’hiver avec nous ?

Étreignez des automnes éclatants de ténèbre.
L’heure est célèbre. Silence. La révolte sonne !

Ed le Bibliovore

Cueille l'Automne
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