Jour 10 - Extrait de texte
J’en ai parlé dans ma Bûche Zéro Zéro, les Rêveries du Multivers appartiennent à mon hypercycle Vois la Voie de la Voix. Parmi ces Rêveries se trouvent plusieurs textes qui parlent de l’hiver (eh oui, il s’avère que je suis souvent victime d’une obsession quant au froid et à la neige, c’est vrai). C’est ceux-là que je vous propose de découvrir début décembre, également pour vous introduire à la découverte, plus lointaine, d’autres extraits, plus longs, du tome 1 de la Sage Saga de l’Octosystème.
La dixième rêverie, que je vous propose aujourd’hui de lire – et aussi d’écouter – n’est PAS la suite de la Rêverie 8 – La neige danse. Si vous n’avez pas consulté ou écouté la huitième et la neuvième, vous pouvez le faire avant de découvrir la 10… ou pas.
Ce texte est assez particulier par rapport à ma narration habituelle : déjà, il est écrit à la première personne, ce qui n’est pas la norme dans la Sage Saga de l’Octosystème, ni dans aucun autre des cycles de Vois la Voie de la Voix, et il rompt également avec un style majoritaire. Mais c’est l’avantage des Rêveries ! Je peux prendre dans ces scènes plus de libertés stylistique qu’à l’accoutumée.
Contrairement à la plupart des textes courts des Rêveries, ici, le personnage central est également l’héroïne principale de l’hypercycle Vois la Voie de la Voix. Pour éviter un spoil majeur, je ne peux situer exactement la scène chronologiquement, mais sachez qu’à ce moment-là de l’histoire, Aïtée Delallanura a autour de vingt-quatre ans, alors qu’on la rencontre adolescente au début du tome 1 de la saga. Mais nous reparlerons d’Aïtée plus tard.
En tout cas, ce texte décrit un moment-clé, un pivot narratif, un dénouement de plusieurs arcs parallèles.
Quelques clés de worldbuilding / lore :
- Il y a d’autres éléments de lore dans l’intro aux Rêveries 8 et 9 ! J’ajoute ici uniquement ce qui est nouvellement évoqué par ce texte-ci.
- Æstis, ou la Bulle de Création, est l’instance magique la plus haute du Wyrd, supérieure même aux dea. Elle régit l’entièreté du Multivers et de ses règles, et applique les lois de la magie à toustes ses utilisateur·ice·s.
- L’un des déclencheurs de la Sage Saga de l’Octosystème, c’est l’éclatement d’Æstis : alors que les forces d’Eliumite II ont poussé les dea à bout, æls en viennent à devoir se réfugier à l’intérieur d’Æstis. C’est en son sein qu’est commis le déicide qui la fait éclater : Andreu frappe de sa dague Mahian, læ tue.
- La quête d’Aïtée est, globalement, de récupérer les fragments d’Æstis aux huit coins de l’Octosystème, aidée de ses sœurs, pour rétablir l’organe régulateur à sa juste place.
- Le titre, Prédicat-Univers, est une référence à une expression qu’utilisait souvent mon prof de Sémiotique, Pierluigi Basso Fossali, pendant son cours de Sémiotique des Passions au cours de mon master 1. Cela signifie, pour aller vite, le sentiment qu’éprouve un individu lorsqu’iel est face à face avec sa vanité, son impuissance, sa fragilité… lorsqu’iel est au-devant de l’univers tout entier, fétu de paille insignifiant face à l’immensité inimaginable. C’est une sorte de vertige que nous connaissons toustes.
Rêveries du Multivers
10
Prédicat-Univers
C’est vraiment beau. La campagne s’étire et s’étend partout à perte en pur gain. La poudreuse que je sais douce même aux grillages s’accroche, aux branches se cramponne et s’entasse. On a peint au pinceau plat, à la brosse en rouleau, toutes les aspérités et terraformé les replats les ressacs les vallons qui sinuent en une large couette sans visage et sans voix. La neige étouffe et embrasse, étreint de sa froidure les forêts qui s’allègent de sa grâce volatile. Je file au travers comme si je clignais des yeux, et l’étrangère que je ne suis qu’à peine se prend à connaître ce sentier engoncé de mousses surgelées. La caresse mentale d’une rivière ou d’une route qui dure tranche l’uniformité placide, atteste d’une résistance, d’un combat qui se mène contre le froid. En esprit déjà je marche seule dans ce champ laissé là par le temps ; il me tarde de ne plus rien percevoir que le tourbillon des flocons emplumant mes vêtements ouverts à tous vents.
Là, je pourrais aussi bien me trouver ailleurs, autre temps, autre lieu, autres yeux. La neige a ce pouvoir que je n’ai pas et fait voyager si le cœur vous en dit à travers un spatiorift défiant temps et distances. C’est brutal, ça vous saisit dans un vortex qui vous fouette jusqu’à vous laisser exsangue face à l’univers et aux branches empesées de givre. Tout est fragile : la neige ; vous. Au loin une ramure ploie et craque, dévale la hauteur de son tronc, s’échoue lourdement et presque sans bruit dans le tapis imperturbable. Comment tant de douceur et de légèreté peut faire plier, peut briser, du bois vert là où la violence peine ?
Dans ma tête j’ai un air de guitare qui me rend le cœur et je crois que c’est cette musique vouée à traverser les âges. Elle n’a pas de forme, pas de substance, pas de partition bien sûr. C’est une mélodie sans cesse changée et inchangée, qui résonne dans les âmes comme un cristal a sa tonalité propre. Comme tout vibre.
Je n’entends pas mes pas mais les devine plus que je ne les vois. Je crois que la neige tend vers l’espace et les étoiles : regardez la forme des flocons, écoutez leur silence. C’est le versant lumineux de l’espace, la neige vit, fait vivre, fusion improbable d’air et d’eau, amène et joueuse là où le vide entre les étoiles veut écraser sous l’absence toute vie trop folle pour se glisser en son sein. Quand vous tombez dans la neige, elle vous accueille, atténue le choc, et engourdit de son froid la douleur. Quelle meilleure alliée ?
Je pense à ce que je m’apprête à faire, à la tâche qui m’attend. Je n’ai pas froid, ni faim, je me contente de marcher, mes pouvoirs endormis et sans vigilance, l’esprit en proie à la mollesse. Rien n’est grave puisque je suis en vie pour l’instant.
Tout à l’heure, je tiendrai Æstis dans mes mains.
Le texte mis en ambiance
Et demain ?
Y’aura encore des trucs, demain ? Toujours est-il que nous ne savons pas encore quoi. Alors, revenez demain, ouvrir la prochaine surprise ! Ce qui est certain, c’est qu’il y en aura encore une et que la fête n’est pas finie pour la Vallée des Mots.