Lézard des Mots

Prologue de l’Octosystème – partie trois

Jour 19 - Entrez dans l'Octosystème

Nous commençons à entrer un peu plus dans le vif du sujet. Mot après mot, ligne après ligne, phrase après phrase… Vous progressez un peu plus loin, vous n’êtes déjà plus à l’orée. Pour ce troisième extrait, je vous livre des pages que j’aime particulièrement : la première description de ma ville préférée dans l’Octosystème, Ezcohléïan-ok-M’to, ou Escargul, si on se résout à raccourcir ce nom à rallonge (vous verrez pourquoi il l’est, il y a une raison !). Initialement, c’était une description de Rome qui ouvrait le roman ; mais il était compliqué d’expliquer pourquoi je le faisais. J’initie donc doucement mon récit par une plongée dans une ville-monde, dans une ville-monstre, qui évoque Rome, et qui lui est liée (comment ?).

Accrochez vos ceintures, retenez votre souffle, nous continuons notre plongée. J’avais proposé comme ambiance, pour les première et seconde parties du texte, le groupe Yatao, avec son titre Cosmic Breath, puis la Septième Gnossienne d’Erik Satie. Nous abandonnons les musiques cosmiques pour confier à Escargul une atmosphère musicale calme et mélancolique, tout autant introspective mais intimiste, grâce au Menuet en Sol Mineur de Haendel, interprété par Anne Queffélec. Sublime et touchant, ce morceau devrait vous transporter là où je le veux pour ressentir ce texte majeur dans ma diégèse.

Venez avec moi, direction Raïta et l’Empire Arzatien.

Quelques clés de worldbuilding / lore :

  • Il y a d’autres éléments de lore dans les intros des Rêveries 8, 9 et 10 ! J’ajoute ici uniquement ce qui est nouvellement évoqué par ce texte-ci.
  • Raïta est l’une des huit planètes habitées de l’Octosystème.
  • Chaque planète de l’Octosystème présente des particularités notables, que je peux désigner par le concept de “supra-biomes”. Raïta, par exemple, est la planète où le plus grand nombre d’espèces non-humaines ont évolué de manière similaire à l’humanité. Pour toustes celleux qui vivent en Raïta, la nature est un bien commun, précieux, à chérir. On l’appelle parfois “la planète sauvage”, particulièrement sur les sept autres planètes, puisque, évidemment, les habitant·e·s de chaque planète appellent “leur” planète “la Terre”.
  • Ezcohléïan-ok-M’to, ou Escargul, est la capitale de l’Empire Arzatien, un reliquat de l’Empire Romain que nous connaissons.
  • L’Empire Arzatien n’a plus d’empire que le nom : c’est une démocratie, géopolitiquement ultra-importante, et plutôt progressiste.
  • Le bateau qui rentre à son port, le Massaliote Furibond, est une référence au Marseillois, un bateau-restaurant icône de la ville de Marseille, qui a coulé en 20 minutes à peine, au Vieux Port, il y a quelques années.

La Sage Saga de l'Octosystème

Tome 1 : Nostraterra

Feuillet 1 : Si loin, si proche, une fresque de tout - Prologue, partie 3

~ * Æst * ~

On raconte encore la légende de la fondation mythique d’Ezcohléïan-Ok-M’to dans les classes de la ville, dans les rues ; se dit encore sur toutes les lèvres dès qu’on le leur demande la fierté des origines romaines. Car, à l’époque, Ezcohléïan-Ok-M’to était Cochlea-Iuxtamare, un petit camp fortifié qui était né des rêves de grandeur de la période de la République, lorsque l’expansion et les conquêtes romaines étaient la mesure de toutes choses. Deux traditions se disputaient les fondations mythiques de la ville. La première prétendait une invasion – secrète et tue par l’histoire – suivie d’un premier établissement autour de ce qui était devenu le Vieux Port d’Escargul, l’un des hauts lieux touristiques de la ville, qui concentrait un grand nombre de tavernes et de restaurants huppés. La seconde hypothèse, probablement plus pragmatique, parlait d’un groupe de déserteurs qui, porté par son élan de liberté (comprendre : sa fuite), serait tombé entre les plis des mondes par un grand hasard, et qui aurait fini par se mêler à la population locale pour fonder avec elle les balbutiements d’une ville-monde.

Car Escargul – Ezcohléïan-Ok-M’to pour ses habitant·e·s qui se refusent à raccourcir le nom de leur ville comme s’il fallait qu’il soit le reflet linguistique d’une prise d’espace géographique considérable – est proprement gigantesque, de nos jours. Dans le même temps, permettez-moi de me justifier, et d’argumenter mon propos : il fallait bien, pour vous introduire dans ces pages, et dans ce monde possible qui me hante, vous présenter d’emblée un lieu qui pourrait en être la quintessence. Escargul s’étale presque sur un continent entier. Oh, bien sûr, j’exagère, mais c’est la plus grande ville de l’Octosystème, de bien loin, monstre aux appétits insatiables qui a dévoré au cours de son histoire toutes les bourgades, hameaux et villages qui avaient l’audace de penser pousser près de lui. Bien sûr, il y a de loin en loin des espaces plus vides, si tant est que ce terme ait un sens pour Escargul. Des champs dans la ville, des espaces verts et sauvages, des parcs à ne plus pouvoir les dénombrer ni les mesurer, des canaux, des lacs et des rivières qui semblent indomptés, des forêts entières prises entre les rues et les boulevards, des temples vénérant de petites parcelles de mousse, des caves, des couloirs, des souterrains, des lieux cachés laissés en pâture à la fange, aux champignons et aux fougères. Ne vous y laissez pas prendre : sous des dehors farouches et naturels, tous ces espaces sont réellement maîtrisés et conscrits, même si la beauté instinctive de la planète Raïta s’exprime encore dans ces lopins de sauvagerie.

Le soleil se levait délicatement sur un coin de la Ville, auréolé de ses timides et pâles premiers rayons qu’il hésitait encore à darder sur l’immensité cosmopolite. Si étendue que la lumière du jour ne pouvait la baigner jamais entièrement, Escargul ne dormait jamais vraiment. Des quartiers sommeillaient pendant que d’autres continuaient de vivre, que d’autres ralentissaient leurs activités, que d’autres s’éveillaient. Chaque journée était ainsi immuable sur la Ville Éternelle, à l’image même de la ville. Mais nous restons près du port pour le moment. Toute cette ville est bien trop longue à explorer, à décrire et à comprendre. Une brume rosée flotte au-dessus des vagues et sur les quais bien entretenus et les oiseaux de mer sont déjà levés. S’il était, dans les temps anciens d’Escargul, un port de commerce actif, le Vieux Port est maintenant destiné à la plaisance, voire au prestige, même si certain·e·s Escarguliotes avaient encore leur petit coin de jetée personnel. La plupart des bâtiments qui mouillaient ci et là étaient de petites embarcations : de riches yachts, des voiliers à un ou deux mâts, quelques simples barques avec un petit moteur… rien de bien grand. Seuls quelques navires détonnaient, mais ceux-là étaient soit des musées, comme cet ostentatoire trois-mâts un peu plus loin, soit des restaurants huppés qui concurrençaient les bistroquets et brasseries, plus populaires, à terre. Pourtant, le vaisseau qui revenait à son attache était un monstre. C’était un peu l’exception, la fierté connue de tout le monde, le symbole d’une gloire jamais perdue. Le Massaliote Furibond était un des rares navires de commerce à avoir encore ses quartiers au cœur de la cité, et le seul qui avait droit de mouillage dans l’enceinte très select du Vieux Port. Il rentrait d’une croisière de trois mois qui avait fait vivre d’intenses moments de bonheur aux Escarguliotes qui avaient eu la chance de profiter des promotions de la compagnie qui l’exploitait. « Une odyssée épique autour de l’océan Daertyo, sur les traces du commerce de l’artisanat des métaux qui ont fait la renommée de notre belle cité » avait argué la réclame publicitaire. Ses passager·e·s étaient au comble de la joie, et plusieurs centaines de personnes se pressaient sur le pont supérieur pour voir le quai s’approcher. La manœuvre était délicate, mais l’équipage aguerri, et les moteurs vrombissaient, se cabraient, se raidissaient, sous les mains expertes des machinistes qui contrôlaient leur monstre avec plaisir et habileté. Laissons là le Massaliote Furibond faire son entrée tranquille.

Devant le front de mer, Escargul arborait un espace découvert, démesuré à son image. La Grand Place, qui n’était pas celle de Bruxelles, était dallée de marbre noir réhaussé de complexes et fines dorures qui prenaient la lumière du matin naissant et la réfléchissaient avec ardeur. En son centre se hissait la Tour de l’Octosystème, qui culminait à trois cent quatre-vingt-deux mètres, avec ses huit bras mobiles qui convoyaient dans les cieux des répliques des huit planètes de l’Octosystème en une course éternelle. Les huit sphères gravitaient autour de l’axe de la tour, et rythmaient les journées interminables d’Escargul. Sur chacune des huit faces de la tour octogonale, une horloge, qui se voyait de loin, et qui s’éclairait la nuit. Chaque horloge affichait une heure différente, pour les huit fuseaux horaires qui découpaient Escargul, et les mécanismes étaient entretenus avec attention par une armée de spécialistes qui contrôlaient l’exactitude stricte de l’heure. La construction de la tour évoquait le raffinement et le superflu : partout, des ornements architecturalement inutiles, des volutes, des flèches, des courbures, des rampes, des fenêtres biscornues, des sculptures incluses dans la maçonnerie, des fresques bigarrées. En somme, un agrégat qui avait l’air disparate de plusieurs styles architecturaux, tant raïtanites que provenant des sept autres planètes. Cette colonne-ci, par exemple, était résolument … oh eh bien c’est une colonne dorique, en un mot. Au sommet, une graine en métal voulait symboliser l’union prospère des peuples. Et par peuples, les habitant·e·s d’Escargul entendaient tant un ensemble humain cosmopolite et chamarré que des sociétés non-humaines organisées. En Raïta, les groupes organisés non-humains étaient fréquents, peut-être encore plus qu’ailleurs dans l’Octosystème, et certaines nations raïtanites, dont Arzat, ne comprenaient pas en leur sein que des personnes humaines. L’Empire Arzatien courait de sa gigantesque capitale Escargul à l’est du continent Mundum, à des terres plus sauvages, à l’ouest ; des rivages de l’océan Daertyo aux chaînes toujours enneigées des Hémériotes. Il régissait aussi quelques autres territoires épars, principalement des îles et petits archipels jetés çà et là dans le Daertyo.

~ * Æsti * ~

Et demain ?

La suite de ce texte, fort probablement. Parce qu’il est temps de conclure cette introduction à cet univers, de vous pousser dans le grand bain, de vous faire franchir une dernière fois l’orée.  Mais promis, nous aurons quelque chose à lire ! Alors, revenez demain, ouvrir la prochaine surprise ! La fête n’est pas finie pour la Vallée des Mots.

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